Agir ensemble pour démocratiser l’action publique en éducation et en santé et services sociaux : quels espaces de collaboration ?

Colloque scientifique dans le cadre de l’ACFAS à l’Université du Québec en Outaouais organisé en collaboration avec le partenariat ARIMA et le Centre de recherche et d'intervention sur l'éducation et la vie au travail (CRIEVAT)
Mai 2020

Conférence d’ouverture – Démocratiser l’action publique en éducation et en santé et services sociaux ? Utopie et réalité

Isabelle Ruelland (Université de Montréal) et Simon Viviers (Université Laval à Québec)

Messages principaux

Qu’est-ce que la démocratisation?

  • Un processus collectif en devenir constant favorisant le pouvoir d’agir sur les inégalités sociales.

Le contexte institutionnel et organisationnel de l’action publique limite la démocratisation dans les domaines de l’éducation et de la santé et des services sociaux :

  • Le virage technocratique de la gestion des activités professionnelles;
  • Des injonctions à la collaboration en réseaux intersectionnels et interprofessionnels.

Enjeux pour la démocratisation de l’action publique en éducation et en santé et services sociaux :

  • Confusion possible entre l’idée de collaboration et de démocratisation par un rétrécissement du sens de la seconde au profit de la première,
  • Des conditions favorisent la collaboration au sein des réseaux scolaires et sociosanitaires, qu’elles soient sociales et institutionnelles, organisationnelles, micropolitiques ou interpersonnelles.

Quelles pistes pour démocratiser l’action publique?

  • Des pratiques et des initiatives porteuses en train de se faire dans les interstices des expériences de collaboration formelles et aussi informelles de réseaux sociosanitaires et scolaires et à découvrir et à comprendre dans le cadre de ce colloque notamment.

Références supplémentaires

Ruelland, I. (2019). Des cercles citoyens comme leviers de démocratisation du réseau public de santé mentale au Brésil, In. Klein, J-L. (éds.), Trajectoires d’innovation. Des émergences à la reconnaissance, Presses de l’Université du Québec.

Parazelli, M., Ruelland, I. (2017). Autorité et gestion de l’intervention sociale: entre servitude et acte de pouvoir, Éditions IES et Presses de l’Université du Québec.


Inégalités épistémiques et recherches participatives dans les services sociaux et les soins de santé

Maxime Boucher (Groupe de recherche et de formation sur la pauvreté au Québec)

Messages principaux

Une équipe de recherche est en train de se créer au Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales et les discriminations (CREMIS) sur le thème des inégalités épistémiques et les recherches participatives.

Les recherches participatives ont la prétention d’être plus inclusives, et de favoriser la participation à la recherche et à la connaissance de groupes sociaux qui peuvent être marginalisés. Or, les inégalités épistémiques est un nouveau concept que nous avons créé en nous inspirant des travaux de Miranda Fricker sur les « epistemic injustices », et sur les liens entre les rapports de pouvoirs, la décrédibilisation de groupes sociaux et les obstacles qu’ils rencontrent pour reconnaître et faire connaître une réalité qui est dans leur intérêt de faire connaître.

Cette équipe en devenir a mis en place des procédés inclusifs afin d’instaurer une polyphonie respectueuse et agréable entre les personnes qui ont participé aux séminaires, tout en tâchant d’intégrer les personnes au bas de l’échelle épistémique. Ces séminaires ont porté sur plusieurs facettes et étapes des recherches participatives à la lumière du concept d’inégalités épistémiques pour savoir si les recherches participatives contribuent à les réduire ou à les augmenter, et comment.

Références supplémentaires

Godrie, B., Boucher, M., Bissonnette, S., Chaput, P., Flores, J., Dupéré, S., Gélineau, L., Piron, F. and Bandini, A. (2020). Injustices épistémiques et recherche participative: un agenda de recherche à la croisée de l’université et des communautés. Gateways: International Journal of Community Research and Engagement.

Équipe Épistémè (2020). Guide d’autoévaluation des démarches participatives à la lumière des inégalités épistémiques, Version 4 du 25 mars 2020, Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales et les discriminations (CREMIS), Montréal, 8 p.


Les pièges de la reconnaissance au travail: sujet politique et pouvoir d’agir

Isabelle Fortier (École nationale d’administration publique) et Jacques Rhéaume (Université du Québec à Montréal)

Résumé

Si la reconnaissance est un des leviers privilégiés d’un plus grand pouvoir d’agir pour les individus au travail, elle peut aussi se transformer en idéologie affectant le travail de chacun, le collectif et ultimement la communication d’intercompréhension dans les organisations. Peu de recherches articulent les problématiques liées à la reconnaissance comme idéologie et les injonctions managériales paradoxantes en lien avec les processus communicationnels dans les organisations. Cette communication se penche sur une série de questions attachées au contexte de « la domination au travail » et des conditions de mépris où les dispositifs managériaux de quantification du travail, de changements perpétuels, de compétition qui détruisent les collectifs, et mènent à la déprofessionnalisation et à l’incommunication. Plus spécifiquement, nous nous interrogeons sur les points aveugles de la communication officielle dans les organisations publiques, notamment dans le secteur de la santé, via l’enjeu de la reconnaissance comme idéologie et les pistes constructives permettant d’éviter ce renversement de sens de la reconnaissance et de la communication organisationnelle vers davantage d’assujettissement. Nous conclurons ainsi sur les conditions organisationnelles et communicationnelles favorisant l’intercompréhension et la reconnaissance réelle du travail des acteurs au cœur de la « résonance » d’une vie « bonne » au travail comme dans la société en général.


J’éprouve des difficultés à faire valoir mon point de vue au sein de la concertation, suis-je devant une impasse démocratique ?

Maxime Boucher (Institut national de la recherche scientifique – Urbanisation, Culture et Société)

Messages principaux

Les dispositifs de concertation de quartier sont des espaces de délibération collective où les personnes qui participent échangent sur les enjeux vécus dans leurs milieux de vie. Y défendre des points de vue fait partie des exercices auxquels elles se livrent, aux côtés de l’échange d’information, de la planification, de prises de décision et parfois de débats. Forcément, participer dans ces conditions exige de leur part qu’elles manient habilement des compétences. Celles-ci vont par exemple des politesses à l’aisance en public, aux rhétoriques et stratégies en vue de convaincre les autres participants, à la manifestation d’une confiance mutuelle devant les imprévus et les incidents.

Les personnes qui se refusent à toute forme de diplomatie dans ce contexte apparaissent rapidement comme étant les récalcitrantes d’une démarche concertée. Le plus souvent, celles-ci ne « jouent pas le jeu » de la retenue car leur participation vise avant tout à attirer l’attention sur des sujets, parfois difficiles et tabous, qui sont tenus à l’écart des discussions. Leur carrière et le rôle qu’elles jouent au sein des espaces de collaboration sont alors suspectés puisque chacune de leur prise de parole s’accompagne d’une indignation en public. L’ingéniosité dont elles font preuve donne également à voir des démonstrations de force qui apparaissent alors comme des moyens alternatifs dont elles disposent afin d’inscrire durablement les enjeux qu’elles défendent à l’agenda des préoccupations collectives.

La participation dans ce contexte peut être vécue comme une impasse démocratique puisque les espaces de collaboration tels que les dispositifs de concertation de quartier ne permettent pas toujours l’expression libre des points de vue. En revanche, ils permettent parfois bien plus une concentration des points de vue similaires, moyennant des démonstrations d’allégeance, des compromis et la gestion des impressions. 

« C’est à travers les discussions et les volontés collectives qu’on arrive à faire quelque chose. Et le ton m’apparaît quelque chose d’important; les sujets bien sûr et les contenus aussi, bien sûr… mais tsé, c’est une construction et donc moi je pense que ça reste un objet fragile et je le traite comme tel » – extrait d’entrevue 

Références supplémentaires

Boucher, M. (2019). Les épreuves performatives de la concertation de quartier in Courcy, I. et Farinas, L. (2019). Tisser des liens : perspectives interdisciplinaires sur le travail relationnel. Actes du colloque (486) tenu le 9 mai 2018 dans le cadre du 86e Congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS), 76. Montréal, Canada: Centre de recherche et de partage des savoirs InterActions.

Boucher, M. (2017, Février). Animation du club de lecture sur le texte de Mathieu Berger (2008). Répondre en citoyen ordinaire. Pour une étude ethnopragmatique des engagements profanes, Tracés, Revue de sciences humaines, No. 15, p. 191-208. Centre de recherche et de partage des savoirs InterActions, CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal.


Le Leadership distribué dans les établissements scolaires : fonctionnement distribué ou modèle normatif ?

Frédéric Yvon (Université de Genève) et Emmanuel Poirel (Université de Montréal)

Résumé

Depuis le début des années 2000, un nouveau modèle théorique, le leadership distribué, a fait son apparition dans le champ de l’étude du leadership (Gronn, 2000 ; Spillane, Halverson & Diamond, 2001 ; Bolden, 2011 ; Tian, Risku, & Collin, 2016). Il consiste à analyser la prise d’initiative et le pilotage d’une organisation non pas du point de vue du dirigeant, mais comme le résultat d’une dynamique collective, effaçant ainsi la distinction entre leader et employés (« followers »). Dans le champ des sciences de l’éducation, ce modèle, initialement descriptif, permet de revaloriser les formes de participation des acteurs éducatifs dans la conduite des établissements scolaires (Poirel & Yvon, 2012 ; Yvon, 2019). Cette approche du leadership peut être considérée comme synonyme d’un processus spontané d’un pouvoir d’agir individuel et collectif sur l’organisation, en opposition à un leadership collaboratif qui serait prescriptif (Gélinas-Proulx et Jäppinen, 2017). Cette communication proposera une relecture des fondements de cette conception théorique du leadership qui peut être rapprochée des courants francophones d’analyse du travail. Dans la perspective de favoriser des lieux de dialogue et de prises d’initiatives collectives, elle dressera un bilan critique des tentatives de faire émerger par des interventions planifiées des formes distribuées du leadership en éducation (DeFlaminis, Abdul-Jabbar & Yoack, 2016).


Des équipes-cycle au Québec réussissent à s’affranchir de la prescription paradoxale de la collaboration entre enseignant.e.s du primaire

Céline Gravel (Université Laval à Québec)

Résumé

Trois équipes-école de trois commissions scolaires différentes de la région de la Capitale et de la Chaudière-Appalaches ont été impliquées dans un projet de recherche sur la collaboration institutionnelle, professionnelle et pédagogique dans leur milieu de travail. La recension des écrits a montré clairement d’une part que les enseignant.e.s du primaire reconnaissent la valeur de la collaboration pour favoriser la réussite des élèves; d’autre part, plusieurs obstacles apparaissent. Selon une perspective interactionniste stratégique (Pépin, 2018) nous présenterons des éléments d’explication de l’écart qui existe entre cette valorisation de la collaboration et le fait qu’elle est parcimonieuse dans de nombreux milieux scolaires. Il ressort des caractéristiques communes et d’autres distinctes dans les dynamiques de ces trois équipes-écoles. Les enseignant.e.s se réfèrent souvent à la collaboration prescrite en équipe-cycle dans les communautés d’apprentissage professionnel (CAP) instaurées et celles davantage appréciées, soit la collaboration en équipe-degré et celle informelle. L’identification des enjeux, soit ce que les enseignants d’une part et les personnes qui les accompagnent d’autre part, veulent obtenir et ce qu’ils veulent éviter laisse entrevoir des pistes d’action viables selon l’approche du développement du pouvoir d’agir (Le Bossé, 2012).


Pouvoir d’agir sur le travail et son organisation en milieu scolaire : analyse de l’activité de collaboration interprofessionnelle des conseillères et conseillers d’orientation

Simon Viviers (Université Laval à Québec) et Patricia Dionne (Université de Sherbrooke)

Résumé

Les conseillères et conseillers d’orientation (CO) en milieu scolaire font face à une diversité de contraintes qui rendent difficile l’exercice de leur profession en concordance avec ce qu’ils et elles estiment être le cœur de leur métier. Cette situation peut donner lieu à ce que nous avons appelé de la souffrance identitaire de métier (Viviers, 2016). La méthodologie de la clinique de l’activité mobilisée pour analyser l’expérience que les CO font de la collaboration interprofessionnelle dans leur milieu de travail a permis de :

  • montrer la diversité des stratégies mobilisées par ces personnes professionnelles dans les occasions concrètes de collaboration avec d’autres acteurs pour reprendre du pouvoir sur l’exercice de leur métier;
  • développer, au sein même du dispositif de recherche-intervention, des apprentissages susceptibles d’augmenter la puissance d’agir individuelle et collective sur leur travail de CO;
  • la mise en œuvre d’actions subjectives et collectives en vue de transformer leur travail et favoriser la réalisation de l’activité souhaitée au cœur de leur métier.

Références supplémentaires

Viviers, S., Anne, A., & Dionne, P. (2019). L’évolution de l’identité professionnelle des conseillers d’orientation à l’aune des transformations de l’organisation du travail scolaire au Québec. Éducation et Sociétés, 43(1), 93-118.

Dionne. P., Viviers, S., & Saussez, F. (2019). Discuter et réfléchir son activité par l’instruction au sosie : débats de métier et espace de contradictions. Nouveaux Cahiers de Recherche en Éducation, 21(2), 24-42.

Viviers, S., & Boulet, J. (2018). Santé mentale et travail des conseillers d’orientation en milieu scolaire : entre adaptation défensive et protection du métier. Revue d’éducation de l’Université d’Ottawa, 5(3), 37-45.


Groupes interqualifiants et augmentation de la puissance d’agir

Pierre Roche (Centre de recherche sur le travail et le développement – Conservatoire national des arts et métiers)

Messages principaux

Échec scolaire massif dans les quartiers populaires, implication des jeunes dans le trafic de drogues, repli identitaire et religieux qui évoque la « radicalisation », prise en charge des enfants de retour de zone de guerre… L’émergence de ces situations critiques et multidimensionnelles appelle de nouvelles alliances professionnelles, seules susceptibles d’apporter des réponses à la mesure de leur complexité.

L’intervenant propose la constitution de « groupes interqualifiants » afin d’étayer leur mise en œuvre sur chaque territoire. Des groupes d’analyse de la pratique qui rassemblent, en présence d’un tiers, des professionnels qui appartiennent à des institutions et à des cultures de métier différentes. Des groupes qui, parfois, intègrent aussi des usagers. Des groupes qui, par la parole, produisent des savoirs, construisent un cadre éthique commun d’intervention.

C’est le régime de production des savoirs (le fait de les construire avec les acteurs eux-mêmes et d’une façon qui ne fasse pas fi de la dimension affective) qui favorise ici l’institution d’une puissance d’agir collective.

Références supplémentaires

Présentation de l’ouvrage – La puissance d’agir au travail

Vidéo – Restitution d’une recherche-intervention sur la réduction liée à l’usage de drogues lors d’un colloque

Vidéo – Communication autour de l’apport de la clinique à l’analyse du travail

Article autour de la définition de la santé (revue PISTES)


Coopération inconsciente au travail: formes sous-jacentes d’action collective, possibilités de démocratisation au niveau institutionnel

Marcelo Balboa (Université Laval à Québec)

Résumé

Nous examinons la question de savoir comment les espaces de collaboration prescrits peuvent être des lieux de démocratisation dans les domaines de l’éducation, de la santé et des services sociaux. La psychodynamique du travail nous aide à comprendre les processus de subjectivation dans le travail et les stratégies de défense collective face aux contraintes du travail, certaines conscientes et d’autres inconscientes. Cela nous a conduit à la question de savoir si les stratégies de défense au travail peuvent être considérées comme des formes de coopération inconsciente au travail (Balboa, 2017). En sciences sociales, l’idée de « coopération » est associée à des formes d’interaction conscientes et stratégiques dans les équipes du travail, constituant un épiphénomène du comportement socioinstitutionnel. Cette manière de comprendre la coopération semble insuffisante pour rendre compte de sa complexité. Dans un premier axe d’analyse, la sociodynamique, nous offre une série de références pour problématiser la notion de travail coopératif inconscient, au niveau inter et transubjectif. Un deuxième axe d’analyse – les instruments théoriques d’analyse institutionnelle – permet d’identifier les modes d’action contre-institutionnelle pour comprendre la manière dont les groupes de travail font face aux restrictions, parfois paradoxales, des institutions. De cette manière, nous entendons contribuer à la problématisation des processus de démocratisation au travail.


Une expérience collaborative dans un service d’urgences oncologiques : la construction d’un livre album

Frédéric Brugeilles (Cabinet Intervalle)

Résumé

Dans nos interventions dans les organisations, nous sommes souvent sollicités pour accompagner des dynamiques nouvelles, plus démocratiques, tant dans les modes de gouvernances que dans les organisations du travail – dans la tradition de la psychosociologie clinique. Nous souhaitons présenter ici une intervention menée en 2016, dans un service d’urgences oncologiques dans un hôpital spécialisé dans le cancer. L’enjeu était de remettre en mouvement la vie de l’équipe, penser ensemble l’activité et permettre une reconnaissance au travail. L’intervention a conduit à la production par l’ensemble de l’équipe d’un livre album (textes et photographies) qui raconte la vie du service. Un groupe, constitué des représentants de chacun des métiers du service (médecins, infirmières, aides soignantes, secrétaires), les intervenants et un photographe, a piloté le projet et décidé de la forme et du contenu de l’ouvrage. La réalisation du livre album a mis en abyme la dynamique déjà à l’œuvre dans la vie du service – renforçant la discussion autour du travail, la coopération, la créativité, la concertation et la prise de décision collective, dans un monde médical qui demeure hiérarchique.Cette expérience nous interroge sur l’intervention et son actualité : l’importance du plaisir et de la créativité au travail ; la possibilité de concilier analyse du travail, expérience collaborative et démarche artistique ; oser une démarche qui se construit en faisant ; vivre une aventure humaine.


Contribution de la recherche au processus de démocratisation de l’organisation du travail et des services : enjeux de co-construction et de négociation

Sébastien Binette (Université Laval à Québec), Nancy Côté (Université Laval à Québec), Andrew Freeman (Université Laval à Québec), Nathalie Jauvin (Institut national de santé publique et Université Laval à Québec)

Résumé

Cette communication présente une réflexion sur la contribution de la recherche au processus de démocratisation du travail et des services à partir de deux projets qui se sont déroulés dans le secteur de la santé et des services sociaux. Ces projets s’inscrivent dans une démarche de recherche en partenariat où différents intervenants et acteurs décisionnels ont été impliqués dans le déroulement de la recherche dans une logique de coconstruction des connaissances via leur implication à un comité consultatif. Le premier projet portait sur l’implantation d’un nouveau rôle infirmier et le second d’un nouveau modèle de soin. Les deux projets impliquaient des changements importants dans les modes de collaboration interprofessionnelle et l’organisation des services nécessitant la mobilisation de différents acteurs aux niveaux micro, méso et macro organisationnels. Dans cette transformation, la recherche a joué un rôle central dans l’établissement d’un espace de coconstruction et de négociation nécessaires au développement d’une vision commune et à l’établissement d’actions concertées à l’échelle locale, régionale et nationale. La recherche a également contribué à l’accroissement de la capacité d’action de différents acteurs par le développement de nouvelles connaissances, mais aussi, parce que le processus même de recherche en partenariat favorise des relations plus égalitaires et une forme de pouvoir qui s’appuie sur les intérêts communs des différentes parties prenantes.


Un regard politique sur le travail professionnel : enjeux et perspective

Jean-Louis Denis (Université de Montréal)

Résumé

Les professionnels de la santé et de l’éducation sont considérés publics traduisant leur forte dépendance à l’État. L`État détermine les conditions de travail de ces derniers selon un régime et des règles de négociation préétablis. La sociologie des professions s’est intéressée de longue date aux stratégies adoptées par des groupes occupationnels pour se constituer en tant que profession et pour accéder à des privilèges sur le marché de travail. L’analyse des écarts entre un modèle professionnel idéal et les comportements de pratique adoptés par les professionnels a aussi fait l’objet de nombreux travaux. Si ces travaux ont le mérite de révéler le caractère construit des professions, ils font l’impasse sur la valeur en soit du travail professionnel par opposition à des formes dites aliénées de travail. Cette présentation vise à analyser l’évolution du travail professionnel et son enchâssement progressif et poussé dans des cadres organisationnels et étatiques caractéristiques des démocraties libérales avancées. En s’appuyant sur l’exemple de la constitution d’une élite professionnelle en santé, en l’occurrence la profession médicale, il s’agira de mieux comprendre le travail de résistance et de co-production déployé par les professionnels en tant que groupe organisé pour refuser certaines formes de régulation tout en participant à l’instauration de nouveaux régimes de gouvernementalité.


Les CHSLD au Québec, un lieu d’inégalité des pouvoirs et des savoirs? Le cas spécifique de la faible implication des préposés aux bénéficiaires aux décisions organisationnelles

Francois Aubry (Université du Québec en Outaouais) et Flavie Lemay (Université de Montréal)

Messages principaux

  1. Les préposées aux bénéficiaires au Québec sont victimes d’une forme d’inégalité épistémique : elles sont placées au bas de la hiérarchie hospitalière et gériatrique, et sont considérées comme un personnel d’exécution des tâches d’assistance. Par ailleurs, elles subissent également une forme d’injustice épistémique : elles développent en situation de travail des savoirs non issus de la formation initiale, utiles et très efficaces pour 1) l’organisation du travail et 2) la personnalisation des services, mais ces savoirs ne sont pas reconnus comme tels par la chaîne hiérarchique.
  2. Dans le contexte spécifique des CHSLD, on assiste surtout à une imposition unilatérale des normes de qualité aux préposées, situées au bas de la hiérarchie hospitalière. Ils ne participent pratiquement jamais aux décisions organisationnelles, imposées de manière « top-down ». Il se crée ainsi un écart entre le travail prescrit via ces normes de qualité et le travail réel, constitué surtout par des objectifs quantitatifs importants.
  3. La démocratisation de l’action des préposées aux bénéficiaires dans le réseau de la santé et des services sociaux nécessite 1) le développement de structures de rencontre et de discussion collective pour discuter de l’efficacité et de la moralité des stratégies à utiliser, et 2) la participation et la consultation des préposés lors de développement de programmes, de formation ou d’amélioration de la qualité de vie des patients/résidents.

Références supplémentaires

Aubry, F. (2018, 26 février). Les raisons du manque d’attrait du métier de préposée aux bénéficiairesLe Devoir. ​

Aubry, F., Feillou, I., Torres, M., Ledoux, E., Couturier, Y., et Desmarais, L. (2017). Comprendre l’influence de la régulation des contraintes temporelles sur l’appropriation des principes généraux de déplacement sécuritaire des bénéficiaires par les recrues préposées aux bénéficiaires, Rapport de recherche R-998. Montréal, Canada : Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST).

Aubry, F. et Couturier, Y. (2018). Regard critique sur l’imposition des normes de qualité en CHSLD : le cas spécifique de l’approche milieu de vie. Intervention, (148), 8390.


Défis identitaires au sein d’un processus de co-construction rassemblant professionnels de la santé et citoyens en situation de pauvreté et d’exclusion sociale

Djahanchah Ghadiri (HEC, Université de Montréal), Isabel Heck (Parole d’excluEs, Université du Québec à Montréal)

Résumé

Dans les domaines de la santé et des services sociaux, où le discours du partenariat de soin entre patients et professionnels de la santé est de plus en plus influent, la collaboration entre acteurs venant d’horizons divers et l’intégration d’une variété de savoirs, dont le savoir expérientiel des citoyens et des patients, est considérée de plus en plus essentielle. Notre projet vise à contribuer à la compréhension des défis identitaires que comporte ce type de collaboration. Pour ce faire, nous avons étudié un processus de co-construction, à Montréal-Nord, d’une clinique portée par les patients, en partenariat avec les professionnels de la santé. Ce processus rassemble professionnels de la santé, chercheurs et citoyens de Montréal-Nord, dont plusieurs sont en situation de pauvreté et d’exclusion sociale. Notre étude, fondée sur une analyse discursive des positionnements identitaires se manifestant au cours du processus de co-construction, met en lumière plusieurs défis identitaires à relever dans ce genre de collaboration.


Rendre le travail enseignant discutable : un moyen de lutter contre la rhétorique de la professionnalisation ?

Frédéric Saussez (Université de Sherbrooke)

Résumé

Depuis trente ans, le discours sur la professionnalisation véhicule l’idée qu’il importe de changer en profondeur la formation à l’enseignement et les pratiques enseignantes afin que l’école soit en mesure de remplir sa fonction économique. Ce projet s’est concrétisé dans des réformes visant à modifier les cadres et les normes de la formation initiale et du travail. Il a fait de l’apprentissage de nouveaux modes d’action valorisés par la recherche une variable clé de l’amélioration des performances du système éducatif. Cette rhétorique en idéalisant le changement a conduit à une incompréhension du travail réel. Celui-ci a été remplacé par la projection de ce qu’il devrait être. L’analyse ergonomique du travail offre une alternative à cette position normalisatrice. Elle met en lumière la complexité du travail et des savoirs collectifs qui le fonde. Sous cet angle, elle converge vers des travaux sur les communautés professionnelles dont l’objet est l’activité concrète des enseignantes et plus particulièrement, les difficultés et les dilemmes vécus. Un des défis est que les dialogues se nouant autour de ceux-ci puissent constituer une ressource pour l’apprentissage du métier et le développement professionnel. Nous discuterons des conditions à réunir pour que la coanalyse du travail contribue à inventer un nouveau quotidien pour le travail et augmenter le pouvoir d’agir de l’enseignante. Nous esquissons ainsi une alternative à la rhétorique de la professionnalisation.


La formation continue : un levier d’action pour ouvrir vers plus de démocratisation dans le travail ?

Dominique Cau-Bareille (Laboratoire Éducation, cultures et politiques) et Cécile Brunon (Centre national des arts et métiers)

Résumé

En France, l’enseignement connaît de nombreuses réformes depuis une quinzaine d’années. Il est demandé aux personnels de s’engager régulièrement dans des transformations profondes de leur activité, d’adhérer à de nouvelles pratiques, de nouvelles valeurs sans pour autant être associés à la réflexion sur ces mutations. Nous montrerons, sur la base d’un travail de recherches mené avec deux syndicats de l’enseignement, que ces changements font l’objet de moins en moins d’accompagnement en termes de formation. L’institution laisse souvent les enseignants seuls face à ces directives, sans se préoccuper du coût humain de ces changements, des conflits éthiques qu’ils peuvent engendrer, des difficultés de mise en œuvre des nouvelles prescriptions et de l’adéquation des ressources affectées aux nouveaux objectifs fixés. Les formations proposées relèvent plus de temps d’informations sur ces nouvelles mesures que d’opportunités de développement professionnel et personnel. La tendance est au e-learning, coupant les enseignants d’espaces de réflexion collectifs autour des prescriptions. Cela limite fortement les possibilités de questionnement des injonctions, d’élaboration collective autour d’évolutions du métier qui froissent l’éthique professionnelle. Nous défendons l’idée que la formation continue est un levier important de santé au travail, de développement des compétences et un espace de démocratisation dans le travail qu’il s’agirait d’investir davantage d’un point de vue syndical.


Cartographies : L’opportunité de faire la recherche-intervention pour changer les milieux du travail

Patricia Guerrero (Université Pontificia Universidad Catolica de Chile)

Résumé

L’objectif de cette communication est de partager les analyses de l’équipe de recherche clinique socioéducative de la Faculté d’éducation de la PUC sur des travaux dans les écoles à partir de cliniques de travail et de sociologie clinique qui collaborent à la construction de projets de changement et d’agentivité. Nous présenterons et discuterons le dispositif de Cartographie développé dans le cadre de nos recherches, lequel comprend une analyse de rôle, la construction de trajectoires individuelles et histoires de vie, un travail théâtral (organidrame) et se termine par la construction de projets d’amélioration individuels et collectifs. Pour comprendre le potentiel de changement de ce dispositif, la notion d’agentivité, prise d’un point de vue écologique, sera mobilisée. Nous montrerons comment penser à un changement devient possible si sa propre histoire est élaborée à la lumière des transformations sociales, si nous pensons ensemble notre réalité complexe et faisons des projections pour l’avenir que nous voulons construire. Le dispositif est inspiré de Deleuze et sa notion de «rhizome» puisqu’il fonctionne selon différents axes. Nous travaillons sur le passé, présent et futur, de manière corporelle et artistique (image, danse, photo), en distinguant les émotions, les cognitions qui apparaissent dans les trajectoires et les espaces, et en essayant d’articuler également le psychologique et social.


Négocier et traduire les savoirs. Une analyse de l’expérience du travail de collaboration réalisé en première ligne dans le domaine de l’autisme

Isabelle Courcy (Université du Québec à Montréal)

Messages principaux

1. Un nouveau contexte structurel et normatif

  • Réforme et réorganisations
  • Valorisation de l’intersectorialité
    MAIS
  • Des collaborations empêchées par des lourdeurs administratives
  • Des collaborations empêchées par le manque de services spécialisés
  • Modèle épisode de service vs approche écosystémique

2. Faire sens de sa pratique dans le contexte

  • Sentiment de résignation ou mise à distance par rapport à la situation
  • Adapter ses pratiques au modèle du partenaire (2e et 3e ligne)
  • S’investir dans le travail de coordination
  • Adopter des pratiques cachées
  • Assumer un rôle de traducteur des savoirs avec les familles
  • Travailler pour donner plus de place aux familles et aux usagers dans les collaborations intersectorielles

3. Constats

  • Des conditions structurelles défavorables a l’émergence de lieux partagés de démocratisation
  • Mais des micropratiques d’agentivité : (re)construire du sens et se réapproprier le langage de la collaboration dans l’intervention

Références supplémentaires

Courcy, I. (2017). Mieux comprendre les défis de la collaboration pour mieux accompagner les personnes ayant un TSA et leurs prochesLe Point en santé et services sociaux, 13(3), 41-43.  

Courcy I. et Farinas, L. (dir.) (2019). Tisser des liens : perspectives interdisciplinaires sur le travail relationnel. Actes du colloque (486), 86e Congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS). Université du Québec à Chicoutimi, Chicoutimi, Canada.

Courcy, I. (2018) La collaboration parents-intervenants : à la croisée des expertisesSur le spectre, magazine de neurosciences de l’autisme de Montréal, 5, 2-3.


Collaboration et pratique professionnelle en région éloignée : une réflexion pratique

Marie-Andrée Girard (Université de Montréal)

Résumé

Les régions éloignées sont des zones de soins de santé particulières par rapport aux zones urbaines sur plusieurs aspects. En raison des réalités géographiques, l’éloignement des professionnels influence la mentalité d’approche de l’intervention de santé : ils sont en constante reformulation ou modification des standards de pratique acquis pour respecter la réalité de leur pratique. Rareté de la main d’œuvre, limitation dans la variété des expertises, imprévisibilité des situations, barrière de langue, tous les facteurs sont réunis pour « horizontaliser » la relation entre le patient, son réseau et les professionnels dans l’atteinte du meilleur soin possible. Pour illustrer, Dr Marie-Andrée Girard exposera son expérience de la collaboration interprofessionnelle du Grand Nord québécois à la lumière de théorie de la managérialisation du droit.


Point de vue des personnes touchées par le cancer sur les liens de collaboration entre les équipes spécialisées en cancérologie et les organismes communautaires

Marie-Josée Courval (Université de Montréal), André-Anne Parent (Université de Montréal), Dominique Tremblay (Université de Sherbrooke)

Résumé

Avoir un cancer bouleverse toutes les sphères de la vie des personnes qui en sont touchées : physique, psychologique, sociale et spirituelle. Les personnes touchées par le cancer sont susceptibles de nécessiter un soutien non seulement de leur réseau primaire (famille, amis, collègues de travail), mais aussi de la communauté. Ainsi, le programme de lutte au cancer du Québec mise sur l’action intersectorielle entre les équipes spécialisées en cancérologie et les organismes communautaires afin de « favoriser la complémentarité entre les services de soutien offerts par le réseau public et ceux offerts par les organismes communautaires ». L’étude qualitative descriptive et interprétative réalisée dans le cadre de notre projet de maîtrise,  propose toutefois que les personnes touchées par le cancer perçoivent peu de liens de collaboration entre les équipes spécialisées en cancérologie et les organismes communautaires. Notre cadre théorique, inspiré de certains concepts de la Théorie de l’Acteur Réseau, a permis d’appréhender le point de vue des personnes touchées par le cancer sur certaines barrières à l’action intersectorielle, telle l’implication d’un tiers au sein de «l’inter-action» entre les deux acteurs. S’adressant aux gestionnaires et praticiens, les solutions novatrices suggérées par les personnes touchées par le cancer proposent un réel changement des pratiques individuelles et collectives de l’action intersectorielle, avec et pour les bénéficiaires


Contraintes et résistances face à l’implantation d’un outil d’intelligence artificielle en milieu hospitalier

Cécile Petitgand (Université de Montréal)

Messages principaux

Comment favoriser l’intégration de l’ensemble des parties prenantes au cours de l’implantation des innovations d’intelligence artificielle dans nos organisations de santé ? Voici quelques propositions : 

  • Mettre en œuvre des processus de collecte et d’analyse continues des opinions des utilisateurs et parties prenantes pour identifier rapidement les principales barrières à l’implantation; 
  • Former des « leaders » de l’implantation qui avec chaque groupe social (médecins, infirmières, gestionnaires, etc.) élabore et propose des solutions pour rendre l’implantation plus souple et l’innovation plus utile pour les utilisateurs finaux;
  • Organiser des rencontres collectives permettant aux représentants des groupes de participer activement à la prise de décision quant à la trajectoire présente et future du processus d’implantation.

La Communauté des savoirs : création d’un espace de sens et de reconnaissance entre acteurs multiples œuvrant au sein d’une organisation de santé et de services sociaux

Émilie Dugré (Université de Sherbrooke)

Résumé

L’Institut universitaire de première ligne en santé et services sociaux (IUPLSSS) du CIUSSS de l’Estrie-CHUS fonde sa programmation scientifique sur l’approche de personnalisation des soins et services. Cette approche comporte trois dimensions : la co-production des connaissances, la reconnaissance des savoirs expérientiels et l’évaluation de la différence. Le projet Communauté des savoirs (CS) se veut une mise en action de cette approche au sein de l’Institut. Il s’agit d’une façon d’actualiser des fondements théoriques qui orientent et structurent les projets portés par l’IUPLSSS. Les concepts de reconnaissance sociale et de croisement des savoirs sont également au cœur du projet CS. Croiser les savoirs professionnels, scientifiques et expérientiels implique d’abord une reconnaissance de la valeur et de l’équité de tous les savoirs et donc de reconnaître la présence de rapports de pouvoir. Pour mettre réellement en dialogue les savoirs, une prise de conscience doit se faire de la part de tous les acteurs. Un des outils créés est une formation qui sera offerte aux membres de l’Institut : usagers, chercheurs, étudiants, gestionnaires et intervenants. Cette formation permettra de sensibiliser ces acteurs à la plus-value de la CS en les faisant réfléchir (action réflexive) à leur rapport à soi et à l’autre. L’objectif de notre communication sera de présenter le cadre théorique de la CS, certains défis vécus et d’illustrer comment celle-ci s’actualise au sein de l’IUPLSSS.

COLLOQUE 616 ACFAS

Isabelle Ruelland

Professeure, École de travail social, Université du Québec à Montréal (UQAM)

François Aubry

Professeur, département de travail social de l'Université du Québec en Outaouais

Isabelle Courcy

Professeure adjointe, Département de sociologie, Université de Montréal

André-Anne Parent

Professeure, École de travail social, Université de Montréal

Dominique Tremblay

Professeure, École des sciences infirmières, Faculté de médecine et des sciences de la santé, Université de Sherbrooke