Covid-19 : les soins de première ligne ont été négligés
La crise de la Covid-19 aura rappelé au grand public la pertinence de la santé publique et surtout, que l’hôpital demeure une institution centrale du système de santé et de services sociaux, aux yeux de décideurs.
Cette focalisation sur l’hôpital en début de pandémie a retardé la préparation dans d’autres secteurs. Cela explique en partie la crise sévissant dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) et, dans une moindre mesure, dans les services à domicile, où les problèmes commencent à émerger. Les proches aidants sont épuisés, les services offerts aux bénéficiaires ayant été coupés durant la pandémie.
Ainsi en est-il aussi des services de première ligne.
En tant que directeur scientifique du Réseau de connaissances en services et soins de santé intégrés de première ligne et professeur-chercheur à l’Université de Sherbrooke, je m’intéresse aux conditions d’efficience de l’organisation des services de santé et sociaux depuis 20 ans.
Les jeux de lumières et d’ombres médiatiques ont révélé une confusion dans l’opinion publique quant à la première ligne. Microbiologistes et autres pneumologues ont été qualifiés de première ligne, alors que la première ligne véritable (cliniques médicales, groupes communautaires, urgences, Info-santé, ambulanciers) n’a pas fait l’objet d’autant d’attention, sauf les lignes publiques d’information (comme l’Info-Social 811), les cliniques de dépistage ad hoc et les urgences.
Il va sans dire que l’hôpital, les spécialistes et les urgentistes jouent un rôle des plus importants dans un tel contexte. Il n’est donc nullement question ici d’en réduire l’importance. Il est tout aussi évident que la première ligne n’est pas structurée pour accueillir une masse de personnes contagieuses ou potentiellement contagieuses. Néanmoins, la santé publique, le 811, les cliniques de dépistage et les urgences requièrent, pour leur propre efficacité, une première ligne qui joue un rôle crucial.
Sept conditions essentielles
La première ligne doit pouvoir continuer de jouer un rôle indispensable pour les clientèles les plus vulnérables, tant sur les plans de la santé physique et mentale que sur le plan social.
Le cas de Montréal-Nord, un des quartiers parmi les plus touchés au Canada, montre l’importance de services de proximité en contexte urbain où le nombre de personnes vulnérables est élevé. Ces services existent, mais n’ont pas été de facto mis en priorité pendant la crise. Il montre aussi le lien entre la première ligne et les soins de longue durée.
Or, un certain nombre de conditions sont requises pour que les services de première ligne puissent jouer pleinement leur rôle, notamment :
- Mettre à disposition des équipements de protection et des équipements de prélèvements nécessaires avant les premiers signes de la pandémie.
- Prendre en considération les conditions chroniques préexistantes à la Covid-19 et de ses effets psychosociaux sur les patients (la mauvaise gestion de la douleur peut avoir des effets sur la capacité de la personne à prendre soin d’elle-même).
- Élaborer et soutenir une stratégie de téléconsultation de qualité et durable permettant aux patients de consulter leur médecin ou un autre professionnel de la santé à distance.
- Planifier dès en amont de la pandémie une contribution de l’ensemble des ressources communautaires, notamment en aménageant les espaces pour recevoir des personnes contaminées.
- Rappeler l’importance de la continuité des soins pour l’ensemble de la population, y compris pour les soins en contexte pandémique (ex. : les personnes hospitalisées en raison de la Covid-19 vont dans la majorité des cas revenir à domicile, et certains auront à vivre des conséquences qui devront être x en charge).
- Anticiper dès maintenant l’important effet d’écho qui suivra sur une longue période les patients dont le suivi aura été reporté ou altéré (effets secondaires, aggravation de la condition de santé, perte d’autonomie fonctionnelle).
- S’assurer que les cellules de décision en temps de crise incluent des conseillers scientifiques experts de la première ligne et des maladies chroniques et ce, à tous les échelons décisionnels.
L’arrivée de la phase endémique
La faible performance du Québec quant à l’accès et à l’utilisation des données cliniques de première ligne est particulièrement néfaste en contexte pandémique, pour la recherche, pour la décision clinique éclairée et pour la gestion. Il faudra dans les prochains mois rehausser le Québec au niveau canadien en la matière surtout dans la perspective de phases de répliques pandémiques et, surtout, de la phase probable endémique. La Covid-19 pourrait devenir une pathologie saisonnière comme le virus de la grippe.
De même, un important effort de recherche devra être consenti pour bien comprendre les effets de la pandémie, surtout ceux qui ne sont pas captés par les mesures officielles de la santé publique. Celles-ci sont effectuées surtout à partir de données hospitalières, et sur les effets à long terme sur la santé.
La première ligne absorbera les répercussions de la pandémie et du bris de services pendant des mois, peut-être des années. Des premières études, notamment en Écosse, laissent présager d’une surmortalité découlant de problèmes de santé courants occultés par la Covid-19 et ce pour toutes les clientèles du système de santé et de services sociaux.
En appui au rôle incontournable de l’hôpital pour les soins aigus en contexte de pandémie, il est impératif de continuer à développer une première ligne qui peut assurer la continuité de ses services aux personnes les plus vulnérables en temps de crise, que ce soit dans la communauté, à domicile et dans les cliniques médicales.
La première ligne doit demeurer une priorité publique, même en temps difficile de pandémie.
Article paru le 19 mai 2020, dans Conversations